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21 avril 2011 4 21 /04 /avril /2011 08:53

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La prime de 1 000 euros de Baroin rime avec gogo

Par Gilles Le Blanc | Economiste 

 

Après l'introduction – insolite – du « rabot » dans le champ de la décision publique, puis

l'idée – surréaliste – d'inscrire l'équilibre budgétaire dans la Constitution au moment même où le pays enregistre un déficit historique de 7% du PIB (136,5 milliards d'euros ! ), François Baroin a annoncé la semaine passée sa dernière création : un mécanisme liant la distribution de dividendes aux actionnaires au versement de primes aux salariés.

Après un petit couplet que n'aurait pas désavoué Besancenot sur les dividendes faramineux remis aux actionnaires et les bonus toujours plus élevés des patrons (ça coûte rien et fait bien voir ! ), voici que le ministre du Budget nous promet une prime « d'au moins 1 000 euros » aux salariés des entreprises versant des dividendes !

Avec cette mesure, on atteint un véritable sommet dans l'art de la communication politico-économique, car on peut déjà dire qu'elle ne traite pas le problème et ne sera pas appliquée.

Le problème – comme le gouvernement le reconnaît enfin – est celui du pouvoir d'achat des salariés, qui stagne au mieux depuis des années, et doit aujourd'hui faire face aux hausses combinées des prix de l'énergie, du logement et des produits alimentaires.

C'est un problème à la fois politique, celui des futurs électeurs se souvenant de la promesse de 2007 sur l'amélioration rapide du pouvoir d'achat, mais aussi économique, car la consommation est le moteur de la croissance française, comme semblent d'ailleurs l'avoir récemment découvert certains ministres.

Les dividendes ont un rôle, mais leur excès pose problème

Mais jouer de l'opposition entre salaires et dividendes est une posture facile et trompeuse. Les dividendes sont la rémunération de l'investisseur qui a choisi de confier une partie de son épargne à l'entreprise, lui fait ainsi confiance pour ses résultats futurs mais doit faire face à un risque d'échec ou de mauvaise performance. Les dividendes jouent donc un rôle et c'est bien plutôt l'excès de dividendes qui pose problème.

Petit rappel : en 2010, trois entreprises concentrent à elles seules le tiers des 37 milliards d'euros de dividendes versés par les acteurs du CAC 40. Il s'agit de Total, GDF-Suez et France Telecom, le dernier se permettant le luxe de verser des dividendes plus élevés que le résultat net de l'année !

Mais où et comment fixer la ligne de partage entre dividendes « normaux » et excessifs ? Et pour quels montants de primes ? En posant ces questions inévitables, on voit ici déjà se profiler une magnifique usine à gaz avec des seuils, des taux, des formulaires, des exonérations et dérogations…

Les « précisions » apportées par Nicolas Sarkozy lors de son déplacement dans les Ardennes ce mardi n'ont pas contribué à clarifier la cacophonie ministérielle des derniers jours quant aux modalités pratiques de la prime. Le président a en effet évoqué toutes les options : exonérations de charges, obligation, incitations, présence ou augmentation des dividendes…

Le gouvernement a une responsabilité dans la stagnation des salaires

Sur le fond, si on cherche vraiment à dissuader des décisions néfastes économiquement, alors attaquons-nous aux programmes de rachat d'actions ! Cette stratégie, qui consiste à utiliser une partie des profits pour acquérir des actions auprès du public pour ensuite les détruire et mécaniquement soutenir le cours de bourse des actionnaires restants, est une absurde destruction de richesses.

Les groupes du CAC 40 ont consacré 2 milliards d'euros à de tels programmes l'an passé (en 2007, 19 milliards). Enfin, tenir les dividendes comme responsable de la stagnation des salaires en exonérant la politique économique du gouvernement est certes confortable médiatiquement, mais économiquement réducteur ou malhonnête.

Quand on réduit les charges sur les bas salaires à hauteur de 30 milliards d'euros (soit autant de recettes qui manquent et seront compensées par de l'endettement) et qu'on augmente le Smic de 1,6% seulement au 1er janvier 2011, il est difficile de prétendre n'avoir aucune responsabilité dans la situation en matière de salaires.

Une proposition qui introduit une nouvelle inégalité entre salariés

Au-delà, cette proposition soulève deux grandes difficultés qui font sérieusement douter de son application :

elle revient d'abord à introduire une nouvelle inégalité, dans un pays qui n'en manque pas, cette fois entre salariés : entre ceux qui ont la chance d'appartenir à une entreprise versant des dividendes et tous les autres. Parmi ces derniers, évidemment l'ultra-majorité (plus de 80%) des TPE et PME mais aussi de nombreux grands groupes.

Ainsi, l'an passé, Renault, PSA ou encore EADS n'ont versé aucun dividende. Une pensée pour les salariés d'Alcatel qui, dans ce dispositif, n'auraient reçu aucune prime depuis 2003, le groupe n'ayant versé aucun dividende sur la  période ;

la proposition entretient enfin une confusion grave entre revenus et salaires, et le rôle économique clé de ces derniers. Bien entendu, il existe des sources multiples de revenus complémentaires : réductions ou services gratuits réservés aux salariés, plans de participation et d'intéressement, primes de résultat…

S'ils sont toujours bienvenus, ils ont néanmoins un caractère temporaire et incertain. Impossible de les intégrer dans le calcul d'une acquisition ou d'un prêt, de les utiliser pour justifier de ses revenus dans une location… C'est bien la grande différence avec les salaires, un engagement contractuel garanti sur un niveau de rémunération en échange d'un travail et d« un effort.

La logique est radicalement différente de l'actionnaire qui dépend des résultats incertains et variables. L'idée de l'actionnariat salarié brouille cette frontière et entretient la confusion. Une prime liée aux dividendes va exactement dans le même sens banalisant le rôle des salaires. Les syndicats ne s'y trompent pas et mettent logiquement l'accent sur les négociations salariales en cours, que l'annonce de la prime va perturber gravement.

Mais on l'a compris, ce n'est plus là l'important. Nous sommes entrés en période (pré ? ) électorale et la course aux promesses est lancée. Qu'importe alors de confondre profits et valeur ajoutée, salaires et revenus, CAC 40 et PME…

Pour ne pas être dupe dans la surenchère prévisible à venir, n'oublions pas que l'économie est un bon outil critique pour démasquer les apparences et discuter des effets réels des annonces

 

(source : echo 89  )

 

 

 

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